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Ricœur et la question du conflit

Thématique(s)Philosophie
Ricœur et la question du conflit

Un appel à proposition pour la revue Études Ricœuriennes / Ricœur Studies (ERRS) / ERRS Volume 13, N°1 (2022) est actuellement en cours sur le thème "Ricœur et la question du conflit". Editeur invité : Gonçalo Marcelo (CECH, Université de Coimbra). Co-éditeurs de la revue : Jean-Luc Amalric et Ernst Wolff.


Le concept de conflit a une longue histoire philosophique, de Héraclite à Hegel et Marx, jusqu’à la philosophie sociale et politique contemporaine. Dans cette histoire, la philosophie de Paul Ricœur n’est guère citée, et en effet elle est rarement reconnue comme une philosophie du conflit. Pourtant, le conflit fut toujours déterminant dans le contexte de son œuvre, que ce dernier soit conçu, dans sa dimension epistémologique, comme l’expression de la méthode herméneutique de la philosophie ricœurienne (c’est-à-dire comme « conflit des interprétations ») ou qu’il soit pensé, dans sa dimension pratique, comme un défi que la complexité de l’action humaine adresse à la réflexion philosophique. Dans les deux domaines, théorique et pratique, il s’agit donc à la fois de penser les conflits et de penser au travers des conflits, même si le but avoué de Ricœur est parfois d’« arbitrer le conflit des interprétations rivales » (voir « Existence et Herméneutique ») ou de trouver des « médiations toujours fragiles et provisoires » dans le domaine de l’agir humain (Amour et justice).


L’une des originalités de l’œuvre de Ricœur par rapport aux autres philosophies qui ont centré leur réflexion sur le conflit est sans doute la notion de conflit des interprétations, formule qui donne son titre au recueil d’essais qu’il fait paraître en 1969. Le problème qui donne naissance à cette méthode est déjà formulé dans De l’interprétation : « Il n’y a pas d’herméneutique générale, pas de canon universel pour l’exégèse, mais des théories séparées et opposées concernant les règles de l’interprétation. Le champ herméneutique (…) est en lui-même brisé ».  Et dans « Existence et herméneutique » (chapitre d’ouverture du Conflit des interprétations), le philosophe  explicite les principes de la « voie longue » de son herméneutique : la compréhension de soi doit se concevoir comme une tâche qui est nécessairement médiatisée par le déchiffrement conflictuel des signes et des symboles.


Que ce soit dans la première phase de la philosophie herméneutique de Ricœur,  –  axée sur une micro-herméneutique du double sens des symboles –, ou dans la macro-herméneutique des années 1970 et 1980 qui se déploie sous la forme d’une herméneutique des textes et de l’action, la démarche correspond à une dynamique créative à travers laquelle une nouvelle lumière est jetée sur les phénomènes en produisant de nouvelles et de meilleures interprétations. On peut certes y voir une dialectique « faible » sans prétentions totalisantes (un « hégélianisme brisé » pour reprendre ici une expression de Johann Michel) – comme c’est le cas par exemple de la dialectique entre l’expliquer et le comprendre (« expliquer plus c’est comprendre mieux ») –  mais il s’agit avant tout d’une dialectique qui débouche sur une perspective élargie, faisant le partage  entre des interprétations plus ou moins réussies.


Ce qui reste aujourd’hui à discuter c’est l’actualité et l’importance, souvent méconnues, de ce modèle ricœurien du conflit. Un tel modèle pourrait en effet être considéré comme une alternative au réalisme naïf (souvent réductionniste et naturaliste) et au relativisme, en mesure de saisir les formes de rationalité propres aux sciences humaines et sociales. Enrichi par les recherches de Ricœur sur l’innovation sémantique (dans la métaphore et le récit) et sur l’imagination dans ses dimensions tant individuelle que sociale, ce modèle nous aiderait à dévoiler la texture symbolique de la réalité et à y contextualiser les perspectives en première personne.


L’objectif de ce numéro thématique est donc de repenser le conflit en analysant plus en profondeur sa signification dans l’œuvre de Ricœur, et en montrant comment il peut éclairer de nouveaux phénomènes aujourd’hui.


Axes de réflexion possibles :


1)    Le rôle du Conflit des interprétations dans le tournant herméneutique de Ricœur et les contributions de sa phénoménologie herméneutique dans les débats avec le structuralisme, la psychanalyse et la philosophie de la religion, ainsi que leurs implications pour l’herméneutique du soi. Les propositions d’article peuvent, par exemple, analyser l’importance de ce recueil du point de vue d’une interprétation diachronique de l’œuvre de Ricœur, ou relire les thèses de ce livre à la lumière des développements ultérieurs de ces champs de recherche. Dans cette perspective, une interrogation sur le lien entre le thème du « cogito brisé », formulé dès la Philosophie de la volonté, et la caractérisation ricœurienne du champ herméneutique comme constitutivement brisé serait la bienvenue. Mais c’est aussi le sens de la distinction ricœurienne entre herméneutiques du soupçon et herméneutiques de la recollection du sens qui mériterait d’être questionné.


2)    L’utilité du conflit des interprétations, au sens large, en tant qu’outil epistémologique susceptible de donner sens à d’autres mouvements de pensée et à d’autres controverses philosophiques plus tardives. Des pistes sont ouvertes ici pour penser les relations possibles entre l’herméneutique et le poststructuralisme, la postphénoménologie, les reformulations plus récentes de la théorie critique ou encore le néo-hégélianisme.


3)    Les conflits dans l’action humaine et notamment dans les domaines social et politique. Les propositions d’article peuvent concerner la spécificité de la notion de conflit chez Ricœur (ainsi que les démarches d’arbitrage et de médiation mises en œuvre par le philosophe) et ses rapports (s’il y en a) avec d’autres visions agonistiques des phénomènes politico-sociaux : qu’il s’agisse par exemple de l’agonistique de Chantal Mouffe, des descriptions de la lutte pour la reconnaissance (Honneth, etc.) ou encore  d’autres conceptions du conflit – des analyses post-marxistes à la mésentente chez Rancière, en passant par le différend chez Lyotard. Les articles peuvent aussi analyser, à l’aide de la médiation de la théorie narrative et de la philosophie de l’imagination de Ricœur, des exemples de conflit narratif ou idéologique dans la sphère publique brisée qui caractérise notre époque. Des questions importantes surgissent dans ce contexte : l’herméneutique ricœurienne peut-elle avancer des critères pour arbitrer entre des récits politiques en conflit ? Une herméneutique rigoureuse peut-elle éviter les embarras des récits pétrifiés qui se veulent sans alternative et lutter contre les récits « manipulés » qui se multiplient à l’époque de la « post-vérité » ? 


4)    Au-delà du conflit. Il est vrai que la philosophie de Ricœur est marquée par une description agonistique du processus interprétatif et que ses œuvres nous livrent des analyses de plusieurs conflits pratiques – du conflit entre le volontaire et l’involontaire dans la Philosophie de la volonté à la lutte pour la reconnaissance dans Parcours de la reconnaissance, en passant par le « tragique de l’action » et le conflit de devoirs dans Soi-même comme un autre. Mais il ne faut pas oublier que Ricœur essaye toujours de répondre à ces conflits, en tentant de les « penser plus » ou de les penser mieux » et en mettant en avant des médiations pratiques. On en trouve des exemples dans la conceptualisation de la sagesse pratique (Soi-même comme un autre) et dans les « clairières de reconnaissance » (Parcours de la reconnaissance). Plus récemment, d’autres auteurs se sont inspirés de Ricœur pour envisager des interventions pratiques visant à dépasser le conflit – c’est ce dont témoigne, par exemple, l’effort de Richard Kearney pour surmonter l’hostilité et encourager l’hospitalité par le biais de l’échange narratif dans le cadre du Guestbook Project. Des articles s’interrogeant sur les manières ricœuriennes d’aller au-delà des conflits (théoriques et pratiques) sont donc les bienvenus pour ce volume.


Ces pistes de réflexion ne prétendent pas à l’exhaustivité et c’est pourquoi les articles pourront porter sur d’autres thématiques dans la mesure où elles sont susceptibles d’éclairer la problématique ricœurienne du conflit.


Date limite de transmission des textes : 15 mars 2022


Nombre de caractères max. (espaces compris, notes incluses) : 50 000 caractères. Les contributions doivent être rédigées en français ou en anglais
Format : Pour les questions de style, le journal suit le Chicago Manual of Style. Voir sur le site de la Revue, la rubrique « Directives aux auteurs: http://ricoeur.pitt.edu/ojs/index.php/ricoeur/about/submissions#onlineSu....
Les articles qui ne respecteront pas ces contraintes éditoriales ne seront pas examinés.
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